Le management , un art martial . Interview Genève Business News
http://www.gbnews.ch/tendances-rh/management/le-management-est-un-art-martial-2
Article écrit par Alain Brisset
Entretien avec Dominique Loridon, Conseiller en Management .
Bonjour Dominique, nous venons de participer à un stage de coaching que vous avez dirigé comme une séance d’art martial, nous sommes tous ressortis satisfaits de cette séance mais assez fatigués et chamboulés dans nos certitudes.
« Oui ! C’est un entraînement d’art martial, la façon de procéder est celle qu’un maître d’arme peut utiliser avec ses disciples, permettre d’aller au bout de soi-même, créer un apprentissage par l’émotion et par l’engagement physique. »
Pouvez-vous nous rappeler comment vous en êtes arrivé à cette façon de présenter le management ?
« Je suis un pur produit de l’Ecole de Commerce, j’ai travaillé pour un grand groupe japonais une grande partie de ma vie d’homme, essentiellement à l’étranger, plus particulièrement aux Antilles et dans le Pacifique. Quand j’ai quitté ce groupe au début des années 90, j’ai décidé de participer à des projets de socialisation et d’insertion pour des jeunes en difficulté et intégrer la formation. J’ai eu la confiance d’un organisme en Guadeloupe qui s’appelle FORE (http://www.fore.fr), avec lequel nous avons monté des projets innovants pour permettre aux jeunes et aux moins jeunes de trouver du travail, et donc très vite, j’ai compris que pour amener les gens à se reprendre en main, il fallait utiliser les techniques qui pour ma part venaient du sport.
Mes confrères travaillaient sur les techniques de recherche d’emploi, sur leur lettre de motivation et leur CV, leur présentation. Moi, j’ai beaucoup plus travaillé sur l’énergie, sur l’envie, l’implication, sur l’engagement et ce avec succès. Je me suis aperçu alors que je reproduisais des méthodes pédagogiques très proches de l’art martial que je découvrais à l’époque, le Kendo, « La Voie du Sabre ».
« Et c’est là que l’entreprise m’a rattrapé et que l’on m’a demandé de gérer des conflits sociaux. J’ai alors commencé à la fin des années 90, à construire un outil qui s’appelle : « Le Management est un art martial ». Cet outil aujourd’hui va aboutir à la sortie d’un livre coécrit avec Pierre Delorme qui est Maître d’arme, ancien enseignant de Kendo auprès des ballets Béjard à Lausanne. Il a déjà écrit de nombreux ouvrages sur la culture orientale adaptée au management. Nous écrivons actuellement un livre pédagogique, pratico-pratique qui relie les traditions martiales, les traditions de sagesse orientales en particulier, avec le management quotidien opérationnel. »
« La problématique que l’on a dans les organisations, et donc chez les Hommes, c’est la capacité à s’engager pour soi à faire quelque chose. Il y a beaucoup de gens que j’accompagne qui ne sont pas prêt à la recherche de leur travail, qui n’ont pas vraiment envie, ou parce que les peurs, ou les appréhensions sont telles, qu’ils préfèrent rester dans leur zone de confort « dépressive ». Plutôt que de dépasser leurs propres fantômes, leurs propres peurs, leurs propres contraintes que j’appelle les dragons. Plutôt que les combattre et de les tuer, ils préfèrent les éviter et ne pas les voir, malheureusement ces dragons vous rattrapent toujours. »
« Il y a énormément de comparaisons que l’on peut faire à travers le Kendo et ce qui se pratique dans l’entreprise. Il y a un respect des règles, mais ces règles sont absolument inacceptables quand elles ne sont pas partagées, consenties et d’autre part quand on n’a pas de règle pour soi. »
« Tout l’enjeu de mon accompagnement à travers les techniques que je développe, c’est d’amener maintenant les cadres d’entreprise à être au-delà de leurs peurs. De toute façon, quelque soit le projet, il y aura toujours des contraintes et que la résolution de ces contraintes passe par le courage. C’est ici que les formes de pratique du Kendo s’adaptent parfaitement à l’entreprise. »
Comment se déroule concrètement votre rencontre avec l’organisation ?
« Ma rencontre avec un groupe se fait par l’intermédiaire d’une métaphore qui tient en une phrase : Les grandes traditions évoquent toujours des chevaliers au services d’un roi, au même titre que les samouraïs s’engagent au service d’un shogun. Ce qui est assez extraordinaire pour vous gens d’entreprise, c’est que lorsque votre chef d’entreprise vous propose une nouvelle mission, vous acceptez toujours. En pleine crise, on vous demande une croissance à deux chiffres et vous acceptez. Vous avez une abnégation qui vous permet de dire toujours oui ! Et à ce titre là, vous êtes des chevaliers… ou des princesses »
« D’un certain point de vue, dans les traditions samouraïs, les traditions japonaises, cet honneur va jusqu’à la mort. C’est-à-dire, servir son Roi, son Maître, c’est un suicide consenti. Nous tous, cadres d’entreprise, nous avons déjà cette capacité à l’engagement et réaliser une mission. On nous confie une mission, et nous acceptons de l’honorer. Dans ce sens là, c’est très martial. Donc, le fait qu’on parle de Management, un art martial est évoqué déjà par la forme de culture d’entreprise. »
« J’amène donc les gens à comprendre qu’ils sont quelque part des chevaliers, lorsqu’il s’agit de femmes ,des princesses, tous au service d’un projet du roi ou d’une reine. Mais de la même manière, si ce projet ne correspond pas à vos valeurs ou ne vous intéresse plus, aillez l’honneur et le courage de donner votre démission et partir. Tout à coup il en confine à l’honneur des samouraïs. Et ça, c’est la première chose dans laquelle, j’amène la réflexion. Il en va de votre honneur d’être présent dans cette salle de formation pour acquérir ce commandement humaniste qui passe par beaucoup plus d’assertivité et d’engagement. Si cela vous ennuie d’être en formation, vous êtes tout à fait libre, et c’est tout à fait honorable, de prévenir votre direction RH que vous ne souhaitez pas suivre cette formation. Les gens rentrent alors dans un schéma de pensée qui les amène à réfléchir sur leur implication et leur engagement. »
« La deuxième image que j’utilise pour présenter le Management, un Art martial ; c’est d’expliquer ce qu’est le Kendo. Le Kendo est le seul art martial qui se pratique en armure parce que les coups sont absolument portés. Et le Kendo est un combat mortel dans lequel il n’y a pas de fuite. On parle d’effacement par rapport à l’attaque mais pas de fuite. Ce qui demande, dans la pratique au quotidien du management, un courage mental très fort parce que tout se fait de face. Par exemple, j’ai une direction qui ne me donne pas les moyens de remplir ma mission. Je vais donc assumer le fait de rencontrer mon N+1 pour lui demander les moyens nécessaires à la réussite de ma mission. Il risque de me répondre, que j’avais tous les moyens nécessaires. C’est là que je montre mon assertivité et ma capacité à négocier par mon énergie, mes compétences, mon organisation. »
« Les gens sont alors placés dans la culture de l’engagement et la culture du courage pour maintenir cet engagement. »
« La troisième métaphore que j’utilise et qui est essentielle, c’est que le point en compétition de Kendo n’est accordé par l’arbitre que s’il est beau ! Que s’il est esthétique ! Je présente ici une esthétique du management. On ne parle de management efficace que s’il est beau, quand il rejoint les valeurs des gens qui sont managés. »
« Au Kendo, le point correspond à trois critères :
- Le Ki, c’est l’énergie que vous mettez dans l’action. C’est quelque chose qui vient du ventre, qui ne vient pas de la tête. Il y a des managers qui n’ont pas de Ki, pas d’énergie, qui communiquent à un groupe, sans y croire eux-mêmes.
- Le Ken, ce sont les compétences, le savoir-faire. Un bon manager est compétent, il maîtrise son sabre. Il connaît le métier qu’il donne à ses collaborateurs, il peut le faire, il peut démontrer, il est exemplaire.
- Le Taï, c’est le corps, le look, l’image, les moyens physiques. Dans l’entreprise, c’est être capable de se donner les moyens de l’action, de les obtenir. C’est beaucoup plus facile de réussir la mission quand on donne de beaux bureaux, de belles voitures aux commerciaux… Là, il faut une compétence technique pour négocier les moyens qu’on n’a pas. »
« Et le point est donné, lorsque les trois critères sont réunis. Et là où est intéressante cette métaphore du management martial, c’est qu’il y a dans les équipes, des gens qui ont de l’énergie, d’autres qui ont les compétences et d’autres qui sont très fort en organisation. Toute la force d’un bon management c’est de savoir réunir ces trois éléments en un. » Au kendo , nous disons Ki ken taï ichi pour donner ipon (l’équivalent du KO en boxe! ndlr) au kendoka.”
Le management se fait donc, mais pas à tout prix…
« Il ne se fait pas à tous les prix, d’ailleurs je parle dans notre training de management situationnel, de la même manière, il y a des combats qu’un samouraï ne mérite pas de mener. »
« Il y a des situations où il y a du lâcher-prise, il n’y a pas besoin de manager. Il faut simplement accepter, respirer. Cette inspiration, cette expiration par rapport à l’événement est dans la pratique du management martial. C’est un management qui a une posture, qui sait prendre de la distance, qui doit être et ne pas être dans certaines situations. Il y a des situations où il faut être directif, d’autres où il faut complètement déléguer, d’autres encore il faut être plutôt participatif, et dans certaines situations tout à la fois. Chaque situation exige un comportement à l’instar d’une pratique de l’art martial où chaque combat exige une stratégie différente. »
Dans une entreprise, on est parfois confronté à des difficultés, on n’a pas toujours le choix. L’art martial, on adhère ou on n’adhère pas. Dans une entreprise, un cadre ou un employé qui fait le choix de ne pas suivre le management comme un art martial, s’exclu de fait. Il fait pourtant un choix respectable. Comment vous gérez ça ?
« C’est arrivé une fois qu’une entreprise arrête le projet parce que ça créait des situations et des contextes où les gens étaient émotionnellement pris. Ils ont souhaité mettre fin à la collaboration. Dans ce cas là, l’entreprise était demandeuse, mais certains cadres n’ont pas souhaité donner suite. C’est arrivé une fois sur une centaine de missions. En France, les collaborateurs ont du mal à exprimer des émotions. C’est générationnel, très souvent les comités de direction sont des hommes quinquagénaires qui ont été élevés souvent dans l’art de camoufler leurs sentiments. »
« Mais il est un fait certain. Si, à l’issue de la formation, un cadre a une démarche assertive, quitte à se mettre en difficulté avec sa direction, c’est que la formation a réussi. Le courage d’être soi, de s’impliquer et de s’affirmer, surtout quand il s’agit de défendre ses équipes. »
« Les formations ont aussi pour but de transformer les cadres de l’entreprise, en hommes et femmes autonomes et indépendants au service d’une mission ! Parfois à leurs risques et péril. Il est établi que dans beaucoup d’organisations, en particulier en France, que les rapports hiérarchiques sont extrêmement pyramidaux, définis à l’avance. On n’attend pas beaucoup, encore aujourd’hui, que des gens dépassent une certaine compétence au risque de remettre en cause les privilèges acquis par ceux qui sont en haut. Donc, il y a une volonté que je peux observer dans beaucoup d’entreprises françaises d’utiliser la force, la domination, la puissance, l’autorité plutôt que le principe d’autorité. »
« Les cadres qui suivent se genre de formation sont beaucoup plus assertifs beaucoup plus engagés, beaucoup plus impliqués, et peuvent parfois surprendre leur hiérarchie. Ceci étant, c’est bon signe ! »
Avez-vous eu des feedbacks d’organisations qui ont mis en place ce type de management ?
« Sans fausse modestie, mon travail ne se fait que part recommandation. C’est parce que ses formations ont un succès que je suis recommandé. Les entreprises me cooptent après cette formation. Certaines ne veulent pas entendre parler de ce type de formation parce qu’elles ne souhaitent pas remettre en cause leur management de manière drastique. »
Vous intervenez sur tout type d’organisation ?
« Oui, tout à fait, je suis intervenu en Algérie pour une organisation du ministère du commerce extérieur algérien . Il y a 140 employés dont 70 cadres et peu travaillait. Ma mission était donc de remettre ces gens au travail par rapport à la mission générale. Avec le directeur général de ce groupe qui pour ma chance n’était pas rentier de sa carrière, nous avons pris tous les risques. Et la première chose que nous avons fait à travers le management un art martial, a été de présenter l’idée que nous n’étions pas rentiers de notre poste et qu’il fallait se mettre au service d’un projet, et donc participer au développement du groupe sous forme de projet et non pas sous forme d’une structure pyramidale. Ce qui pour l’Algérie est une remise en cause fondamentale de l’organisation, de l’histoire, de la culture. Cet exemple, qui plus est à l’étranger, est transposable en Suisse. Je peux citer un grand laboratoire , une grande banque française où il s’agissait de remettre en place une direction commerciale dite opérationnelle, le management d’activité commerciale. J’ai eu d’autres mandats confiés par de grosses banques étrangères, ou de grandes industries, en France. »
Est-ce qu’il y a une différence de culture du management entre les francophones et les anglophones ?
« Par expérience, j’ai travaillé pour un groupe agro-alimentaire français dont certaines activités ont été reprises par un groupe américain . Effectivement, il y a des différences, les Américains sont très centrés sur l’objectif économique. Les Français sont centrés sur la forme, plus affectifs par rapport à l’objectif. Sur la culture managériale, on a des appositions de cultures économiques. Je suis intervenu pour le groupe français et le groupe américain avec la même équipe de cadres, ça ne change pas grand-chose dans ma manière de procéder. Les valeurs martiales sont universelles. Je suis intervenu dernièrement pour le groupe américano-suédois , et une de ses filiales en France, la culture est complètement anglo-saxonne, nous avons fait du management de projet en utilisant les outils du management un art martial. »
« Le principe du management un art martial, repose sur des valeurs fondamentales. A l’instar des maîtres d’arme, c’est fondamentalement le code, l’éthique, les valeurs que possède le dojo, les hommes et les femmes qui travaillent ensemble, réunis autour d’une pratique. Donc à partir du moment où les valeurs sont dites et respectées, le maître d’arme est accepté aussi. C’est fondamental pour une organisation de définir ses valeurs, sa mission et ses croyances. Au Japon, la mission est mise au cœur du projet économique. Je trouve que dans l’entreprise francophone, en particulier en France, on n’a pas cette dimension éthique, de l’engagement, de la philosophie de l’entreprise. On s’arrête souvent au business-plan, il n’y a pas de culture d’entreprise. Actuellement, ce qui compte en France, c’est le compte d’exploitation, les pertes et profits, c’est la case en bas, à droite. Cela dit, les choses changent, il y a de plus en plus d’entreprises qui se posent la problématique de leur évolution et de leur richesse, avec l’Homme au cœur du projet. »
« Dans l’art martial, et dans le Kendo en particulier, ce qui est important c’est que les hommes et les femmes soient contents de venir, et que leur apprentissage leur serve dans la vie. Qu’en même temps le dojo (l’entreprise) soit gagnant, parce que chaque humain a droit à un accompagnement individualisé de sa compétence et de son savoir-faire. L’autre intérêt du management un art martial, c’est que chacun enseigne à l’autre. Le maître d’arme dit une chose très importante, avant chaque combat : Je te remercie pour la leçon que tu vas me donner ! Il attend donc que le disciple soit plus fort que lui. La position du maître est de créer des ouvertures pour que l’élève puisse gagner le combat. C’est une dimension qui manque dans l’entreprise, on verra plus souvent le manager fermer les possibilités à son collaborateur de devenir meilleur que lui. C’est le principe contraire du management. Le management un art martial permet de transformer les managers en maîtres qui font autorité, la définition d’autorité, c’est rendre l’autre auteur ! »
« Je souhaite donc à travers cette méthode amener les managers suisses à devenir maîtres d’armes ! Pour rendre aux gens leur autorité, pour qu’ils puissent rendre auteurs de leur compétences leurs collaborateurs afin qu’ils soient autonomes, et permettre une délégation réussie. Il n’y a pas plus beau cadeau dans une entreprise que d’avoir une dream-team à qui on peut déléguer. C’est ça qui fait la différence entre un bon et un mauvais manager ! »
Photos et illustrations gracieusement transmises par D. Loridon
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